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Dolto, l’autorité et le Grand Marché.
Réponse à Didier Pleux

Claude SCHAUDER
Psychologue, psychanalyste
Professeur associé de psychopathologie clinique
Université Louis Pasteur Strasbourg

Si Mr Pleux ignore (ou fin d’ignorer) ce que nous devons à Françoise Dolto (Débats, Le Monde 11.11.2008), il témoigne d’un art consommé des méthodes marketing qui, sous couvert de critiquer quelqu’un de connu, use et abuse de son nom  pour recycler quelques poncifs et autres banalités. Mieux que ça, Mr Pleux fait mine d’opposer à Dolto des idées qu’il s’approprie mais qu’elle s’était efforcée, elle, de diffuser et d’expliquer. Dolto ne l’avait en effet pas attendu pour rendre les parents attentifs à la différence entre un autoritarisme  qui interdit toute discussion et impose sa loi aveugle et arbitraire  et l’autorité qu’elle appelait de ses vœux et où le respect de l’enfant, de sa parole, de son intelligence  et les échanges qu’il permet, n’entraine pas ipso facto que l’adulte se dérobe à ses responsabilités et refuse  de dire non et de donner ce qu’elle nommait les « castrations symboligènes »,  quand il le juge  nécessaire. Il suffit de relire Dolto pour savoir l’importance capitale qu’elle accordait à ce point, et … d’ouvrir ses yeux et ses oreilles pour constater que, là où Dolto a bien été comprise et où son message a été reçu correctement, les enfants et les adolescents vont bien ! En tous cas infiniment mieux qu’autrefois : leur intelligence libérée, ils sont très tôt des interlocuteurs vifs, intéressants, créatifs et souvent pleins d’humour !

Dans un vibrant appel Mr Pleux nous exhorte pourtant à  éviter d’avoir des « générations Dolto » (sic)faignant  d’ignorer également, que de nombreux pays occidentaux où le nom de Dolto est inconnu et qui n’ont jamais vécu sous son influence délétère, rencontrent eux aussi des problèmes d’éducation d’une partie de leur jeunesse. Plus que jamais en ces temps de crise,  on ne prête qu’aux riches et Mr Pleux reconnaît par là à Dolto une influence qu’elle n’a certainement pas eu, y compris chez nous où, comme dans la plupart de ces pays, c’est d’abord la récupération marchande des slogans hédonistes de mai  68 et le formatage des esprits par le marché mondialisé qui a organisé la dérégulation des rapports d’autorité à laquelle nous assistons. Le marché a ainsi véritablement subverti les aspirations des courants libertaires et hédonistes, qu’il a canalisés vers les caisses de ses hypermarchés et autres centres commerciaux désormais promus au rang de « lieux de vie. »

C’est  dans cette ambiance que grandissent en effet de plus en plus d’enfants un peu partout dans le monde et c’est dans ce climat du « no limit » que les parents et les éducateurs sont supposés exercer leur fonction. Autant dire qu’à l’heure de la transmission des interdits structurants, l’enfant a déjà dans les oreilles et les yeux toutes sortes de discours et de messages qui font et feront d’autant plus fortement références pour lui, qu’ils sont ceux que partagent par la majorité des enfants et des adultes qu’ils côtoient : ils lui ont enseigné que tout est possible, qu’ils y ont droit parce qu’ils le valent bien, qu’on a pas le droit de leur interdire etc…Il n’est besoin d’être grand clerc pour comprendre que dans ces cas là les conditions de la Kulturarbeit, de Freud, c'est-à-dire de la civilisation, fruit de l’éducation que nous devons à nos enfants, ne sont pas vraiment réunies et qu’il nous faut, comme avait su le faire en son temps Dolto, en prendre la mesure pour inventer des solutions adaptées au nôtre pour  améliorer  les conditions de leur subjectivation.

Force est de constater qu’il est plus « porteur » de faire grief des problèmes que rencontrent nos enfants  (ils sont indéniables) à Dolto qu’à ceux qui s’acharnent à imposer un modèle de société  où les émissions des média qui font les plus grands scores d’écoute ont pour vocation de rendre le cerveau humain disponible …aux messages de la publicité.1 Il est de même bien plus facile de hurler avec les loups et d’en appeler à cette  répression dont les démagogues ont fait leur fond de commerce non seulement éditorial mais aussi électoral. Celle-ci n’en conduira pas moins à augmenter la rancœur et la violence de ceux que nous n’aurons pas su protéger des perversions de ce système et  à qui nous aurons, ce faisant, manquer du respect le plus élémentaire.


1  Dixit Patrick le Lay, président de TF1 dans Télérama du 08.09.2004, : « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est à dire, de le divertir,  de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible… »
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